Né en 1932, Jean LAVEUR avait 7 ans lorsque la Seconde Guerre Mondiale éclata.
70 ans après la fin de la guerre, il replonge dans ses souvenirs d’enfant et nous raconte ceux qui ont marqué sa mémoire, entre drames terribles et anecdotes cocasses.
Pour que ceux qui n’ont pas connu cette triste époque sachent ce qui s’est passé dans notre village…
Le matin du 3 septembre 1939, la radio avait annoncé la déclaration de guerre. Le curé Debré sonnait longuement le tocsin et monsieur BESSENAY, qui était pompier, sonnait le feu avec son clairon. Le garde champêtre, M. COIRON posait les affiches de mobilisation. la foule arrivait sur la place, les premiers jeunes partirent le soir-même… Mon père, de la classe en 20, partit 3 jours plus tard.
Quelques temps après, les restrictions commencèrent au village. Tout était distribué contre des tickets, les denrées alimentaires et même le pain. Les rations ne faisaient que diminuer. J’avais 7 ans et avec les autres gosses du village, nous étions mobilisés pour ramasser la ferraille, « pour faire des canons » nous disait-on. On déposait la ferraille au coin de l’école des garçons… puis elle était emmenée je ne sais où. Même les chevaux avaient été réquisitionnés pour tirer les pièces d’artillerie. Jusqu’en mai 1940, c’était ce qu’on appelait "la drôle de guerre".
Puis tout a changé. On entendait aux informations que les troupes allemandes avançaient vite, très vite… Je me souviens qu’un matin, des avions français sont passés au-dessus du Perréon. Les gens disaient « C’est la base de Dijon qu’on évacue ». Quelques heures après, c’étaient les bombardiers allemands qui survolaient le village. Les jours suivants, l’armée allemande déferlait, un campement était à Saint-Etienne-la-Varenne et les soldats venaient faire la java au Perréon. Ils ont notamment vidé les bouteilles de champagne de l’Economique. Ma mère, qui tenait avec mon père l’épicerie sur la place de la mairie, a été menacée de perquisition pour leur avoir refusé certains articles qu’elle avait cachés avec l’aide de mon grand-père.
Le couvre feu était déclaré, l’horloge du clocher avait été mis à l’heure allemande. Tous les soirs, je regardais à travers les volets clos ces 2 side-cars tourner sur la place, je me souviens de ces casquettes avec une tête de mort… Je crois que c’étaient des SS.
A l’évocation de cette « drôle de guerre », d’autres images me reviennent à l’esprit, comme ce jour où une compagnie de l’armée d’armistice a traversé le bourg en trainant un petit canon. Il y a eu aussi une réunion de chantier de jeunesse qui s’est terminée par un grand feu sur la place.
Après l’armistice du 17 juin 1940, les allemands quittèrent la région, nous étions en zone libre. Libres, 28 Perréonnais ne l’étaient pas, restés prisonniers en Allemagne. Et 4 autres jeunes du Perréon avaient trouvé la mort pendant les combats. Une organisation s’est mise en place avec le concours du secours national et 2 conseillers, MM. PERREON et LAVEUR, aidés par leurs enfants, expédiaient chaque mois des colis de denrées alimentaires.
Un jour avant la défaite complète, un car archi plein de réfugiés venant du Nord arrivait au village. Ils se sont installés tant bien que mal avec l’aide de la population. Un couple est d’ailleurs resté après la guerre, M et Mme MERGER, le mari ayant occupé le poste de garde champêtre pendant plusieurs années.
Au début de la zone libre, les anciens combattants de 14-18 avaient amené un grand mât sur la place et chaque dimanche ils montaient les couleurs. Un rituel qui dura quelque temps seulement.
Je me souviens qu’en 1941, le Maréchal PETAIN et l’amiral DARLAN sont venus au Perréon au cours d’une visite en Beaujolais. Toute la population était rassemblée. Précisons qu’à ce moment là, beaucoup de personnes considéraient que le Maréchal avait « sauvé les meubles » comme on dit.
Une autre grande visite me revient en mémoire, avec une belle anecdote à la clé. Ce jour là, le Cardinal GERLIER, une éminence qui en imposait avec soutane rouge, était reçu officiellement au Perréon. Lorsque sa voiture arriva, Jean BUSSIERE, le maire du village, se précipita alors à la portière pour l’accueillir et l’emmener sans attendre, au monument aux morts, pour une minute de silence... Pendant que le curé DEBRE enrageait de ne pas avoir pu le conduire en premier à l’église. Il faut dire qu’à ce moment- là, le curé et le maire n’étaient pas de grands amis.
1942 fut une très bonne année pour le vin. La vendange était précoce, mais de grande qualité et le vin s’est bien vendu. Malheureusement, une grande sécheresse a sévi et les restrictions sont devenues très dures. Il n’y avait guère de légumes dans les jardins… Le maire du village, qui connaissait bien son confrère de Monsols, avait envoyé le camion gazogène de Mme CHAMONARD, chercher des pommes de terre. Elles ont ensuite été réparties entre 3 épiciers qui les distribuaient aux habitants contre des bons émis par la commune.
Dans mes souvenirs, il y a aussi cette grande vague de bombardiers américains qui a survolé le Perréon. Des « Forteresses Volantes », accompagnées de chasseurs, ont traversé notre espace aérien en direction de Lyon pour aller bombarder la Gare de Perrache. Malheureusement, c’est l’Avenue Berthelot qui a dégusté et l’attaque fit beaucoup de victimes.
Fin 1942, les troupes allemandes occupent toute la France, mais notre village reste en dehors des évènements. Les troupes américaines, quant à elles, débarquent pendant ce temps là en Algérie… La reconquête se prépare.
En 1943, une sortie pédestre du patronage à la Croix Montmain fut interrompue par la sortie du bois d’hommes armés. Mais à la vue des enfants qui participaient à la randonnée, les hommes repartirent aussitôt dans les bois. Ces hommes, c’étaient les premiers maquisards, des jeunes qui fuyaient le STO, le Service de Travail Obligatoire en Allemagne. Il y en a eu des combats dans la Vallée d’Azergues, mais nous avons toujours été protégés au Perréon.
A l’été 1944, le maquis occupait toutes nos collines, les résistants étaient là, avec notamment des marins et leurs officiers. A la Sablière, il y avait les aviateurs de Bron également accompagnés de leurs officiers. Mais le maquis, ce n’était pas que des vrais résistants… C’était aussi des crapules qui ne pensaient qu’à piller. Les parachutages avaient lieu sur la montagne pour ravitailler le maquis en armes et en argent. Mais ils ne sont pas toujours tombés dans les mains des maquisards… Après la libération, certains habitants avaient d’ailleurs soudainement pu changer de train de vie.
Si le Perréon n’a pas trop souffert de la guerre, c’est sans aucun doute grâce à M. Jean BUSSIERE, qui a su éviter bien des choses. Entre autres anecdotes, il avait fait caché dans la mairie la moto d’un prisonnier, M. Marius MELINAND. À cette époque, certains faux maquisards, peu scrupuleux profitaient des événements pour réquisitionner les voitures et les motos. Un bel après-midi, une Traction s’arrêta devant la maison du Maire. Les maquisards le réveillèrent de sa sieste pour l’emmener de force à la mairie. Je le vois encore devant la porte, refusant d’ouvrir, alors qu’un des types lui pointait un révolver sur la temps. J’entends encore ses paroles résonner : « J’ai fait la guerre de 14, je n’ai pas peur de toi, la moto restera à la mairie ! ». Devant la résistance du Maire, les faux maquisards partirent. Ces bandits furent fusillés à la libération, suite à une affaire de meurtres chez des cultivateurs.
Un affreux drame eut lieu le 18 août de cette même année 1944. Un marin maniait son révolver au Café du Commerce, oubliant que l’arme était chargée… Le coup partit tout seul, mon copain Georges CORTIER qui était dans le bar à côté de son père, fut atteint à la carotide. Il est mort dans la demi-heure qui a suivi, il avait 12 ans. Il reçut des funérailles militaires, un groupe de marins en uniforme entourait le corbillard, fusil baissé. Une mitrailleuse avait été postée à l’entrée du village, en cas de mauvaise visite pendant les funérailles, mais en août, les Allemands étaient déjà en débandade.
Je crois que c’est autour du 20 août que 3 Stuka, ces bombardiers allemands, pilonnèrent le hameau de la Dousette, tuant des gosses réfugiés de Lyon et plusieurs habitants du coin. Naturellement, on entendait exploser les bombes et quand l'un des avions survola le village, les gens se sauvaient dans les chemins. Le PC du maquis était installé à la Grandouse et n’a pas été touché.
Un hôpital avait été installé dans l’école des garçons, avec 3 internes en médecine
venant de l’Hôpital Edouard Herriot à Lyon. L’ancienne classe de M. DROIN devint la salle des opérations, certaines personnes du Perréon s’improvisaient infirmiers. Mme PASSOT, ancienne sage femme, était chargée des contrôles indispensables, les outils étaient stérilisés dans le four du boulanger. M. RAMONET fut nommé « anesthésiste », il disposait d’un paquet d' ouate, d’un flacon de chloroforme et d’un entonnoir. Il faillit d’ailleurs une fois asphyxier un blessé tant il s’appliquait à maintenir l’entonnoir sur son visage. Le dernier opéré fut un russe, déserteur de l’armée allemande, qui était sérieusement atteint, avec une balle dans le thorax.
Le maquis ne manquait pas d’inconscients… Je me souviens de ce jour, où j’étais sur la place de l’église avec 3 copains, nous avions tous entre 10 et 12 ans. Une Traction se gare, des maquisards en sortent et nous demandent de garder leurs armes pendant qu’ils allaient boire un coup. Et nous voilà donc sur les marches de l’église, armés de mitraillettes, de fusils mitrailleurs et d’un drapeau. Puis, au bout d’un moment, on s’est mis à avoir peur que les allemands passent et nous voient ainsi armés. On se disait alors « Si les boches arrivent, on traverse l’église, on sort par la petite porte et on saute dans le pré ! ». Naturellement, ce ne fut pas nécessaire, les maquisards revinrent et repartirent avec leurs armes.
Notre doyen, Henri MORION, a eu la peur de sa vie en 1944, à la fin de la guerre. Il était parti faire les chantiers de jeunesse de la classe 42, mais voyant que certains de ses camarades étaient envoyés en Allemagne, il a demandé une permission pour revenir au Perréon. Une fois de retour au village, il n’est pas reparti. Considéré comme déserteur, il était alors recherché par les gendarmes. En 1944, il fut sollicité pour garder les voies du train à St Georges, avec Pierre PERROT, Charles BARRAULT et Jean VERMOREL. Il faisait nuit noire quand soudain 4 maquisards arrivèrent pour faire sauter la voie. Après avoir saboté les rails, ils repartirent en prenant soin d’attacher nos 4 Perréonnais pieds et bras et de les laisser dans un coin. Une attente angoissante commence alors, jusqu’à l’arrivée du train, rempli d’Allemands, qui déraille et provoque d’immenses gerbes de feu. Les 4 pauvres hommes sont alors découverts et emmenés illico à la Kommandantur à Lyon, où ils sont interrogés à tour de rôle avant d’être finalement relâchés. Ils sont ensuite rentrés en stop jusqu’à St Georges où ils ont retrouvé leur bicyclette pour revenir au Perréon. Heureusement pour M. MORION, personne à la Kommandantur ne s’est aperçu qu’il était recherché pour désertion… Une fin heureuse pour cette drôle d’aventure.
La fin de la guerre approchait, à partir du 15 août, les maquis s’agrandissaient. Une anecdote amusante me revient en mémoire : un gars qui avait pris le maquis dans les derniers jours est redescendu au bourg avec des galons de capitaine sur ses épaules. Mais à Lyon, ces officiers d’opérette se sont vite fait repérer et il est revenu au Perréon sans ses galons.
Je me rappelle également de ces 2 femmes, une mère et sa fille, qui étaient en vacances en août à la Creuse. Un jour, le maquis de Sainte- Marie a pris en embuscade une Traction de la Gestapo sur la route de Beaujeu. Dans cette voiture, ils ont trouvé une sacoche qui indiquait le nombre de Perréonnais à arrêter : 12 me semble-t-il, dont le Maire et le curé. Cette sacoche, c’était un cadeau de ces prétendues vacancières. Le maquis de la Croix Rosier les a retrouvées et les ont fusillées. J’ai su plus tard que la fille était la maîtresse d’un gestapiste de Lyon.
Et en parlant de femmes, toujours, j’ai aussi ce souvenir d’un 14 juillet, où une compagnie du maquis en uniforme gris, commandée par une femme, était venue faire une prise d’arme au monument. Une mitrailleuse était alors postée en protection à l’entrée du village.
Les derniers jours d’août 44, on entendait la bataille entre Anse et Villefranche. La 1ère armée est passée aux Oullières, mais Le Perréon n’a pas vu les Alliés.
En 1945, chaque fois qu’un prisonnier rentrait au pays, les cloches sonnaient à toute volée pour avertir la population de son arrivée.
Voici quelques-uns de mes souvenirs d’enfants pendant cette terrible guerre, j’espère ne rien avoir oublié d’important.
Jean Laveur